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Marc Bélit

Marc Bélit, parcours d’un activiste culturel depuis 1974

Fondateur et directeur du Parvis pendant 35 ans, chroniqueur, blogueur culturel, essayiste, écrivain. Marc Bélit fait feu de tous bois pour vivre la culture dans tous ses états.

Comment êtes-vous devenu l'homme de culture d'aujourd'hui ?

J'ai été un môme qui a été élevé à la campagne dans les années d’après-guerre et qui a manqué de tout. De livres, de spectacle. Qui n'entendait parler de ces choses que par une mère qui était un petit peu nostalgique et un peu romantique de ce côté-là et qui me parlait de choses que je ne voyais jamais. L’école comme seul lieu d'épanouissement et je dois le dire en ce qui me concerne avec des enseignants médiocre parce que ils avaient à faire à des ploucs de village. Je n’ai pas eu la rencontre - toute proportions gardées - de Camus avec son instituteur. J'ai essayé d'avancer dans la nuit obscure. Ma grand-mère m’amenait voir des spectacles de comédiens routiers qui sillonnaient les campagnes. C’est là que j'ai reçu mes premières émotions du spectacle, devant des choses qui n'avaient sans doute aucun intérêt artistique mais néanmoins qui produisaient en moi cette espèce d'étincelle. Il se passe quelque chose sous le ciel qui rompt avec le quotidien dans lequel vous êtes englué.

Encore loin de la culture donc !

Un autre élément a compté : j’ai passé toute mon enfance comme interne. C’est une coupure radicale avec mon milieu. Radicale et salutaire parce que ça m'a coupé de pesanteur sociologique comme dirait Bourdieu. J’ai souffert beaucoup et je me suis ennuyé. Et quand on s’ennuie, on lit. Et j'ai lu comme lisent les autodidactes : n'importe quoi. Aussi bien Sénèque que les Sermons de Bossuet, aussi bien Montaigne que Claude Farrère. Et puis je découvre un truc très vite. Rien que le fait de se balader avec les sermons de Bossuet dans la main, de les prononcer pour voir comment ça marche. Tout d'un coup les pions et quelques profs se demandaient qu'est-ce que c'est que cet oiseau ? Et tout d'un coup je me souviens de mon expérience théâtrale je me dis voilà il faut être original, il faut avoir un truc à soi. Il faut cultiver quelque chose C'est les deux matrices qui ont produit ma démarche. Tout ça va se coaliser quand je suis première. Il y avait une troupe de théâtre dont l'animateur était un prof de philo. Et là j'ai découvert le plaisir du théâtre, le plaisir de jouer, d'apprendre des vers. Et l'amitié avec un prof de philo qui va déterminer ensuite mon orientation puisque je deviendrais prof de philo. J’avais faim de culture. Et deux pôles, la philosophie et le théâtre. Ce qui me posera un problème plus tard.

Et vous préférez devenir directeur de théâtre que comédien ou rester prof de philo ?

Vous devenez quelque chose, et vous ne savez pas pourquoi. Mais est-ce que tu vas faire une carrière dans le théâtre ou dans la philo ? J'ai été déchiré pendant toute ma période étudiante à tel point que un moment donné j’ai fait une thèse sur Antonin Artaud, l'homme qui a rendu le théâtre impossible. J’ai passé trois ans sur l’échec d’Antonin Artaud qui était l’échec que je souhaitais parce je ne sais pas si j’avais le courage de me lancer dans le vide, et d’être comédien ou metteur en scène. J’ai vu beaucoup de choses, Chéreau et tous les autres que j’ai vu grandir. Si sentais que si je n’étais pas de ce niveau ça n’était pas la peine. Il y a les créateurs et les passeurs. Un enseignant, un homme de culture. Des gens a qui on a transmis quelque chose de culturel qui ont le devoir de le transmettre. Les deux sont nécessaires. Un peintre a besoin d’une galerie, un écrivain a besoin d’être édité. Et j’ai expérimenté le rôle indispensable qu’on a eu dans le domaine du spectacle.

Avec quelle idée avez-vous fondé le Parvis ?

Il n’y avait rien qui ressemble aux Maisons de la Culture. J’ai fait avec la déception de ne pas avoir ce genre d'établissement où il se passait les choses que j'aimais le plus. Et je l’ai fait avec une mentalité d’entrepreneur. L'entrepreneur c'est quelqu'un qui est prêt à tout risquer pour une idée qu'il a. C’était à l’époque de mai 68. Il fallait sortir des théâtres, inventer des choses, aller dans la nature, aller dans les usines pour trouver le non public. A ce moment je suis prof de philosophie et amateur de théâtre, pas vraiment stabilisé dans ma position. J’épouse une fille qui est dans une famille de distributeurs Leclerc. On y parle des grandes surfaces, de distribution. Je vois que ça marche, qu’il y a un monde fou dans ces lieux. Des gens très différents, une espèce de réinvention de vie sociale des marchés traditionnels. Le peuple est là, le fameux peuple qu’on essaye de toucher avec la culture.

Il restait à le faire !

Je me dégonfle pas. Je propose un projet à ces gens de la famille, à des banquiers, des promoteurs qui étaient là autour de la table. Et j’ai eu la chance qu’il y ait un banquier d’un calibre supérieur qui me disent oui, on finance, faites un projet. Il ne suffisait pas de dire que vous aimez le théâtre, que aimez la philo. Je vois que dans le dans le coût global d'une infrastructure comme Le Méridien, vous allez engager beaucoup d'argent avec des mètres carrés utiles ou roulent les chariots, des mètres carrés moins utiles à l'étage avec des fonctions complémentaires restauration et des loisirs. C’est là qu’il faut mettre une salle de spectacle. Je demande 1000 m², qu’on me garantisse un prêt pour acheter l’équipement. Que sur la durée qu’il y ait une taxe sur la distribution pour le spectacle. Et j'ai fait écrire une clause d'indépendance. Donc je me lance dans ce prototype bénévolement, en restant prof. En général, je faisais mes cours le matin, à midi un sandwich et je repartais jusqu’à minuit. Fallait vouloir le faire mais c'est les années plus passionnantes que j'ai vécu avec à la fois l'excitation d’être là où je voulais être. Et en même temps les angoisses de l'entrepreneur qui risque de se casser la gueule le lendemain. Chaque salle pleine, chaque victoire est un bonheur mais vous savez jamais.

Le public a été au rendez-vous ?

La grande découverte c'est que quand vous faites une proposition de haut niveau, vous avez toujours des gens qui n'attendent que ça. Vous avez toujours 3 ou 4 % de la population qui sont déjà raccords avec vous. Ils ont vécu la même chose, ils ont la même la même trajectoire. Ils attendent les mêmes choses. Mais ils sont là mais il pourraient être ailleurs. Toute l'aventure est d'élargir le cercle des connaisseurs. On passe de 0 à 50 en 24 heures. Mais après il faut 30 ans pour aller de 50 à 1000.

Le Parvis, c’est fait pour le non-public ou les quelques pourcents d’initiés ?

En réalité, ce que j’ai fait c’est une Maison de la Culture. Le non-public, c’est un truc d'intellectuel. Le non-public ne demande qu'à devenir le public. Le non-public, ça voulait dire les ouvriers. Mais les ouvriers dans toute l'histoire de la culture en France, on est arrivé à des ensembles significatifs quand on les prenait au comité d’entreprise dans des cars et qu'on les amenait au théâtre. Le reste du temps l'ouvrier il est comme tout le monde. Il va là où il a envie d'aller et pas forcément aller écouter Racine, Sophocle et Shakespeare. Il y a quelques pourcents qui vont être intéressés, dans les mêmes proportions que d’autres publics. En réalité cette idée absurde de vouloir conditionner la notion de populaire à la présence de la classe ouvrière est un mythe.

Le spectateur du Parvis c’est une femme, retraitée de l’éducation nationale, abonnée à Télérama ?

C’est un peu ça. Ca ne tient pas à nous de refaire la société. C’est une illusion de croire qu’on agit plus qu’à la marge. Mais les enseignants, c’est sûr. C'est les enseignants qui ont déjà compris que la culture est un intérêt. C’est les dont le travail est d'accompagner son élève. Eux aussi sont confrontés à un public dans lequel ils cherchent à élargir le cercle du savoir. Les enseignants sont des alliés objectifs. Au Parvis ca a toujours été ma conviction, le jeune public et les enseignants car il y a une continuité civilisationnelle entre l'enseignement et la culture. On travaille aussi à élargir le public avec la programmation jeunesse, avec des propositions qui ouvrent à des expériences différentes qui vont brasser différents publics. Mais est-ce que ça change les grands chiffres? Je sais pas et ça ne trouble pas. Il y a assez d'espace aujourd'hui de culturation ou de déculturation pour que tout le monde y trouve son bien. Quant à la féminisation, c’est une évolution que j’ai constaté que ce soit dans la salle ou parmi les acteurs culturels.

Vous êtes aussi chroniqueur, blogueur culturel, président de l'académie de Bigorre, essayiste et romancier. Il n'y a pas de limites à Marc Bélit ?

J'ai mené ma barque comme un bon capitaine jusqu'à la retraite. A partir de la, j'ai dit bon mon gars, tu vas pouvoir écrire ce que tu as envie d'écrire. J'ai écrit quatre ou cinq essais sur la culture dont le « malaise de la culture » qui a eu le prix de l'Académie des sciences morales et politiques. Pour essayer de traduire la préoccupation qui était la mienne par rapport à la culture puisque c'est mon côté philosophe et théoricien de vouloir produire de l'idée par rapport à ça. Pour me situer par rapport à un champ conceptuel d'une manière qui n’était purement théorique mais appuyée sur une histoire et sur une pratique.

Et les romans ?

Les romans c’est une autre histoire. Tout élève qui a eu une traversée de la littérature par sa propre démarche et celle de ses professeurs a rêvé un jour de se prendre pour un écrivain. Imaginez quand même. On fait 7 ou 10 ans de formation au contact des livres et notamment de la fiction. Et alors pour quelqu'un qui est devenu prof de philo, écrire des essais au fond de la même chose. Mais aller sur le terrain de la fiction, c'est un risque. C'était comme une hypothèque à lever, se demander si j’en suis capable.

Quelle vision vous avez sur l’évolution de la culture ?

Un sentiment de grande tristesse. La tristesse vient du fait que. l'État n'est pas la hauteur de sa mission. Lorsqu’il ne porte pas un projet culturel pour la France, il faillit à sa mission. Et depuis 20 ans, les postes de ministres de la culture relèvent davantage d'un casting que d'un projet. Malraux, Michel Guy, Jacques Duhamel, Jack Lang, le dernier a été Jean-Jacques Aillagon sans doute. Et après ? Qui peut qui peut endosser le rôle ? De la meilleure de manière possible, quelquefois à contre-emploi. Je pense à Madame Bachelot qui a sauvé la culture parce qu'elle a su trouver les sous au moment du covid. Au plus haut niveau de l'État, il y a une responsabilité. Lorsque de Gaulle nomme Malraux, il y a un projet, donner à l’état la responsabilité de la culture. Le décret de 59 existe toujours. Heureusement qu’on a une administration culturelle de haut niveau et de grande compétences. Heureusement qu’on n’a pas déconcentré et qu’on ne dépend pas des collectivité territoriales qui jugent de l’importance ou pas de la culture. Il suffit de voir ce qui se passe en Hérault ou à Nantes. La culture relève de l'État comme l'éducation. La culture et l'éducation sont malades.

Propos recueillis par / ©Bigorre.org / publié le

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