« Longtemps je e suis couché de bonne heure ». Le début des sept tomes de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Un roman et ses 3000 pages qui ont résisté aux tentatives de mise sur scène. Joseph Losey, Luchino Visconti ou Volker Schlöndorff l’ont appris à leur dépend, en n’arrivant pas au bout du projet ou en ne convainquant pas grand monde. Dans l’interview qu’il nous a accordé, Krzysztof Warlikowski nous expliquait d’ailleurs que « faire une adaptation de À la recherche du temps perdu est une activité complètement sans intérêt. Le roman de Proust est un texte complètement à part, un texte inadaptable ».
Dans « Les français », le metteur en scène polonais choisi une autre approche de ce texte. Plutôt qu’une adaptation, c’est une circulation dans le souvenir de la lecture de Proust que Krzysztof Warlikowski a proposé au public du Parvis mardi et mercredi. Un spectacle dans lequel on retrouve bien les personnages imaginés par Proust, Charles Swann, Oriane de Guermantes, le Baron de Charlus ou Robert de Saint-Loup. Mais Krzysztof Warlikowski nous propose de le suivre dans un récit qui échappe à la narration de Proust pour s’intéresser à l’atmosphère du roman et à la sensibilité de Proust à l’époque qu’il traverse. Celle d’une société qui rejette tout ce qui ne lui ressemble pas, juif et homosexuels comme le sont les personnages de La recherche. Une montée des intolérances en Europe quelques années avant la première guerre mondiale qui résonne avec notre Europe, gagnée par la tentation de l’extrême droite et de la fermeture de ses frontières.
Il suffit d’un peu de temps pour se souvenir de qu’on put lire de l’œuvre de Proust, de s’accommoder au texte polonais traduit au-dessus de la scène et on se laisse véritablement happer par cette superbe circulation au rythme si particulier de La recherche. Après quatre heures et demie de spectacle, le public reste comme assommé par la puissance du spectacle et de l’interprétation de la quinzaine de comédiens. Bien enfoncé dans son siège au fond de la salle, Krzysztof Warlikowski peut sourire. Son pari est brillamment gagné.